L’unité
des trois religions au Vietnam
Mythe et réalité
Trần Văn Toàn
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Remarques
préliminaires
En Extrême-Orient on
connaît depuis longtemps l’expression « les trois religions »,
désignant le confucianisme et le taoïsme, nés sur le sol chinois, et
le bouddhisme, importé de l’Inde. C’est effectivement cette situation
culturelle que les missionnaires occidentaux rencontrèrent dès leur
arrivée au XVe siècle.
Mais l’observateur avisé pourrait se demander :
Pourquoi seulement trois ? Puisque l’on connaît, en plus de ces
religions dotées de livres, un culte officiel des héros nationaux et
un culte populaire très répandu et qui s’adresse à d’innombrables
divinités et esprits, représentant des puissances de la nature. Le
confucianisme et le taoïsme en ont même introduit un certain nombre
dans leur culte, mais il en existe encore bien d’autres, auxquelles a
population rend des cultes variés, généralement de style chamanique,
et qui pivotent autour du culte des déesses-mères. C’est à ce culte,
pratiqué dans des séances de possession, que Maurice Durand a consacré
la première étude assez fouillée, mais limitée au Vietnam du Nord[1].
Oui, pourquoi seulement trois ?
Je proposerais à ce
sujet une petite explication. Le mot « religion » est difficile à
définir, tout le monde le sait, aussi bien en Occident qu’en Orient.
Aujourd’hui on cherche en Occident à faire la distinction, d’une part,
chez les chrétiens, entre foi et religion, et d’autre part, dans le
domaine social et politique, entre religion et secte. En vain, vu le
grand boom des nouvelles associations, créées surtout en Amérique, qui
revendiquent le label de religion et d’ Eglise, tout en s’opposant
fortement aux religions et Eglises historiques. En Orient, et nous y
sommes, on combine deux mots chinois zong jiào (Vietnamien :
toân giaùo) pour traduire le mot occidental religion. Or ces
deux mots signifient plutôt enseignement ou doctrine ancestrale.
Autrement dit, on ne définit pas la religion par son contenu, son
objet, mais par son mode de transmission. Si donc le confucianisme, le
taoïsme et le bouddhisme sont appelés religions, jiào, c’est en
plus, me semble-t-il, parce que ce sont des enseignements fixés par
écrit dans des livres canoniques, ce qui n’est pas le cas des cultes
populaires.
En voilà pour le
nombre trois.
Ce qui me paraît
faire problème, ce n’est pas l’existence de trois ou de quatre
religions, c’est l’affirmation de leur unité. On parle
volontiers de leur harmonie, on dit qu’elles ont la même
origine, on prétend que leur synthèse est faite, et
aujourd’hui, à en croire certains, c’est la bouddhisme qui, par sa
capacité illimitée d’adaptation, aurait été le facteur déterminant de
cette synthèse, laquelle précisément devrait définir et délimiter
l’identité culturelle de la nationale.
Cette idée d’harmonie,
d’unité, voire d’identité, affirmée d’emblée comme
allant de soi, me laisse perplexe. Tout d’abord, parce qu’une synthèse
exige, à mon avis, que l’on connaisse de chacune des doctrines son
essence, son principe fondateur et sa structuration, et que l’on
parvienne à en articuler les éléments en un tout cohérent. Un tel
travail doit être l’œuvre d’un penseur bien informé et non le résultat
hasardeux des mélanges de pratiques dans une masse d’individus
anonymes, généralement mal informés sur les subtilités des doctrines
et agissant selon leurs intérêts momentanés. Autrement ce serait du
vulgaire syncrétisme, et d’ailleurs sur ce sujet c’est le mot
« syncrétisme » (hoãn
dung), entendu
avec la connotation
de désordre, qu’utilisent de nos jours des chercheurs de l’Institut
des Recherches sur les Religions à
Haø Noäi.
Ensuite, parce que,
si les génies religieux sont rares, il existe en revanche en
Extrême-Orient plus d’un meneur d’hommes qui croient avoir en ce
domaine la vocation d’unificateurs ou de « synthétiseurs », avec la
prétention de dépasser toutes les religions particulières du passé. Je
n’en cite que deux exemples. En premier lieu, le Caodaïsme au Vietnam,
qui prétend unifier les trois religions de l’Asie avec le
christianisme et le spiritisme venus d’Occident. On sait que ses
fondateurs étaient des familiers du spiritisme, mais leur connaissance
des autres religions, en particulier du christianisme, restait
incertaine. En second lieu, le Moonisme, une secte fondée par le
pasteur coréen Sun Myung Moon (né en 1920), et qui, malgré le nom
officiel qu’il se donne, « Association pour l’Unification du
Christianisme Mondial », reste en dehors des Eglises chrétiennes :
aucune d’elles ne s’y reconnaît.
Suite à ces
exemples, il est permis d’être méfiant à l’égard de ceux qui utilisent
les grands mots comme « unification », « unifié », etc. qui révèlent
chez leurs promoteurs plutôt un souhait ou une prétention qu’une
réalité effective. Pensons, par exemple, en France, au Parti
Socialiste Unifié (P.S.U.) dont se réclamait un Michel Rocard, et qui
n’a pu rassembler qu’une petite minorité de socialistes. Je ne connais
qu’un seul cas, la S.E.D. (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands,
le P.S.U. d’Allemagne) de feu la R.D.A., qui a unifié de force, au
temps de la domination soviétique, socialistes et communistes
allemands sous la direction des communistes. Autrement dans la
réalité, l’unité ne se décrète pas, mais se base sur une position
commune et se négocie très difficilement : pensons à l’Union
Européenne ou à l’unité des chrétiens. En ce qui concerne le Vietnam,
le Bouddhisme Unifié, malgré le nom qu’il s’est choisi, a dû et doit
rencontrer le même genre de problème, interne et aussi externe.
Interne, à cause de l’absence d’une instance gardienne d’une
orthodoxie – on le présente volontiers comme anti-dogmatique – et
externe, portant sur l’option d’engagement ou de désengagement par
rapport à ce monde, surtout dans le monde politique depuis quelques
décennies. Or il ne semble pas qu’il s’agisse d’un genre de
« concile » ou de conciliabule destiné à unifier la pensée doctrinale,
puisque le bouddhisme est, on l’a dit, anti-dogmatique.
Toutefois le fait est là : l’unité des trois
religions a été affirmée, il faut en tenir compte. Ce qui me frappe
dans le domaine de l’action, les hommes réagissent, non pas selon la
réalité objective, mais selon ce qu’ils pensent de la réalité – vrai
ou faux, peu importe –, c’est pourquoi, les discours, slogans, mots
d’ordre, de la propagande ou de la désinformation, sont plus
importants que la réalité éprouvée des faits, pour susciter un état de
choses voulu. Cette remarque veut relativiser ce qui apparaît dans le
sous-titre de mon intervention comme une opposition entre fiction et
réalité. Car de nos jours, nous reconnaissons la valeur propre du
mythe : un mode d’expression et non une simple fiction mensongère. Et
en plus, du fait que le mythe, comme la mystification, peut avoir une
action effective (allemand : Wirkung, wirken), il n’est pas sans
rapport avec l’ordre de la réalité (Wirklichkeit)[2].
Il est utile
d’explorer le thème de l’unité des trois religions, pour mettre au
clair ce qu’il y a de vrai dans cette affaire. Mais c’est une
tentative risquée, et le sujet est très délicat. On ne peut l’aborder
ni sans le recul nécessaire, ni sans tenir compte de la diversité des
avis, des projets et intérêts actuellement en jeu. En attendant le
résultat de cette recherche, je me propose de traiter ce sujet non pas
directement, mais de biais, en présentant deux hypothèses de travail :
a) comment l’idée de l’unité des trois religions agit-elle sur la
formation d’une conscience identitaire ? et b) est-ce une synthèse
ou du syncrétisme ?
1-
La formation d’une
certaine conscience identitaire
10- Le problème de l’identité nationale
Il me semble évident
que l’idée de l’unité des trois religions, dont on parle comme d’une
vérité incontestable, n’est pas tombée du ciel, comme une donnée
depuis toujours.
En effet, quand le
bouddhisme fut introduit en Chine, on crut d’abord qu’il s’agissait
d’une variante indienne du taoïsme. Puis, après y avoir regardé de
plus près, on s’est rendu compte que ce n’était pas la même chose.
Nous savons qu’au Vietnam, comme en Chine, le bouddhisme a été du XIe
au XIVe siècle soutenu par des rois des dynasties
Lyù
et
Traàn, avant de faire une longue traversée du désert, critiqué
avec véhémence par les confucianistes.
Cette idée de l’unité des trois religions est,
me semble-t-il, soit ou bien le résultat de « synthèses » trop
rapidement conclues, soit l’équilibre factice, dû à la délimitation du
domaine de chaque doctrine[3]
– ce qui permet d’éviter des empiètements réciproques – , ainsi qu’à
la transformation progressive du bouddhisme lui-même dans le sens des
désirs de la population, ce qui, dans tous les cas, élimine des
sujets de controverse. Faisons confiance aux chercheurs pour trouver
quand l’idée de l’unité des trois religions fut exprimée pour la
première fois, dans quel contexte et dans quel but. Je prends, quant
à moi, cette idée comme une donnée culturelle dont je m’abstiens
d’explorer la genèse historique. Qu’elle soit vraie ou non, nous
pouvons en faire abstraction, car, comme dit précédemment, cela
n’empêche nullement cette idée d’agir.
Quelle serait alors
l’action de cette idée ? Que pourrait-on en faire ?
Tout d’abord il ne
me semble pas – du moins jusqu’ici – que cette idée ait fonctionné
comme une hypothèse de recherche, ouvrant la voie à des études
approfondies pour parvenir à une vision claire et bien fondée des
choses. Faudrait-il expliquer cette situation par la différence entre
l’esprit oriental et l’esprit occidental, le premier étant censé
tourné vers l’action plus que vers les questionnements théoriques
comme ce fut le cas de la Grèce antique ? Je ne saurais y répondre.
Mais à considérer
l’histoire de la rencontre entre le Vietnam et l’Occident, j’ai
acquis cette impression que cette idée de l’unité des trois religions,
héritée des Chinois, et probablement sans visée précise au début, soit
devenue petit à petit le point de cristallisation pour une nouvelle
conscience identitaire.
La première
conscience de l’identité nationale du Vietnam s’est élaborée lors de
la lutte pour l’indépendance par rapport à la Chine au Xe siècle. En
effet, après avoir été intégré pendant onze siècles dans l’empire
chinois, le Vietnam, constitué en Etat indépendant, maintient à la
fois l’organisation administrative selon le modèle chinois et la
langue chinoise comme langue de culture. Les trois religions se
trouvaient aussi dans cet héritage commun, avec leurs livres
canoniques écrits en chinois. Il est évident que pour se définir comme
différent de la Chine, on ne pouvait faire appel à cet héritage
culturel commun, mais aux considérations territoriales : le Ciel
aurait donné le Nord aux empereurs de Chine et le Sud au roi ou
empereur du Vietnam ; c’est ici dans le Sud que nous avons notre roi,
nos montagnes, nos fleuves et nos divinités.
La rencontre avec l’Occident rend nécessaire une
nouvelle définition de son identité nationale, et cette fois l’idée de
l’unité des trois religions peut fonctionner, avec le risque de forger
une identité fermée, immuable. On peut distinguer dans cette rencontre
deux étapes : la première, pacifique, avec l’introduction du
christianisme au XVIIe siècle par des missionnaires occidentaux ; la
seconde, violente, avec l’intervention des armées étrangères au XIXe
siècle, ce qui a pour conséquence la perte de l’indépendance nationale[4].
11- Identification du champ religieux par des missionnaires
Pendant la première
étape qui a duré environ deux siècles, les trois religions ont eu dans
la rencontre l’avantage de premiers occupants du terrain. Elles
n’avaient pas à se définir face à la dernière venue, c’était plutôt à
celle-ci de se faire une place au soleil.
Se trouvant dans cet
état de fait, les prédicateurs du christianisme devaient, d’un côté,
chercher à connaître et à identifier tout ce qui se faisait en matière
religieuse dans le pays et, de l’autre côté, se découvrir les
premiers, en prenant clairement position par rapport aux croyances et
pratiques religieuses existantes sur place.
Pour la première tâche, qui en somme ne
comportait que peu de risques, ils pouvaient s’appuyer sur les travaux
de leurs prédécesseurs ayant travaillé en Chine, comme l’italien
Matteo Ricci, le belge Ferdinand Verbiest, etc., ainsi que des
observations faites sur place. La moisson n’était pas maigre. Au XVIIe
siècle on a vu publier en des langues européennes des livres sur le
Vietnam, rédigés par plusieurs Jésuites : de Rhodes, Borri, Tisannier
et Marini. Du XVIIIe siècle nous trouvons à l’état de manuscrits
(conservés aux archives de la Société des M.E.P.) deux œuvres qui
furent utilisées au Nord-Vietnam et qui traitaient systématiquement
des religions du Vietnam. C’était des œuvres composées par des
missionnaires italiens, de l’ordre des Augustins déchaussés : la
première fut rédigée en latin, à l’usage des missionnaires par le P.
Adrien de Sainte Thècle, le Opusculum de Sectis apud Sinenses et
Tunkinenses (1750, AMEP, vol.667)[5]
; la seconde fut écrite en vietnamien romanisé, pour l’instruction des
catéchistes, très probablement par Mgr. Hilaire Costa di Gesù, vicaire
apostolique au Tonkin Oriental , le
Tam Giaùo Chö Voïng (Les erreurs des trois religions,
1752, AMEP, V-1089).
Ces travaux ne sont
pas exempts d’erreurs, surtout en ce qui concerne le bouddhisme. Mais
c’est compréhensible, étant donné la documentation disponible à
l’époque : en effet les livres canoniques du Bouddhisme n’ont été
connus par les Occidentaux qu’au XIXe siècle, et comme le bouddhisme
était déjà au XVIIe siècle dans une longue période de décadence, les
quelques livres disponibles en chinois au Vietnam, ou bien n’étaient
pas de première main, ou bien ne pouvaient être empruntés pour
consultation qu’avec grande difficulté. Cela étant dit, il faut
reconnaître que les écrits des missionnaires, surtout ceux des
Augustins déchaussés, sont les premières synthèses connues sur les
religions au Vietnam, avec une mine de faits observés. Reconnaissons
aussi que les missionnaires se sont donné beaucoup de peine pour
connaître les trois religions, alors que les adeptes de ces dernières
se montraient moins curieux au sujet du christianisme.
La seconde tâche,
au contraire, s’avérait plus délicate et beaucoup plus risquée, comme
on l’aurait remarqué en lisant le titre du livre « Les erreurs des
trois religions ». En effet l’obligation, pour le dernier venu, de se
découvrir le premier, implique celle de prendre position, en
discernant parmi les croyances et pratiques religieuses existantes
dans le pays, celles qui pour lui sont acceptables de celles qui ne le
sont pas. Les éléments acceptables ne font pas problème et on en
parle peu ; les éléments inacceptables, on les développe en long et en
large et on les qualifie d’erreurs ou de superstitions, pour désigner
aux chrétiens ce à quoi ils ne devraient plus revenir.
Apparemment il y a
de quoi fâcher tout le monde et liguer tout le monde contre soi. C’est
ce que semble croire le Vénérable
Thích Nhaát Haïnh dans son livre Hoa sen trong bieån löûa
(Le Lotus au milieu de la mer de feu, Paris, Ronéo,1969).
Selon son interprétation, c’est l’absence d’intégration ou
d’inculturation dans la culture locale et cette manie de critiquer
tout le monde qui ont mis les chrétiens l’écart de la nation
vietnamienne et déclenché les persécutions. Ce livre présente
l’avantage de résumer, presque sans commentaire, tous les griefs,
fondés ou non contre le christianisme. C’est une relecture faite au
milieu du XXe siècle de 400 ans d’histoire. Or, si l’on en croit le
philosophe Raymond Aron « l’histoire est la reconstitution par et
pour les vivants de la vie des morts (…) Chaque société a son histoire
et la décrit au fur et à mesure qu’elle change elle même »[6].
Je dirais, pour emprunter les termes du philosophe Alfred Schütz
(1899-1959) que l’on relit l’histoire selon sa « situation
biographique » (qui inclut entre autres sa formation, son milieu
culturel, ses intérêts, ses désirs, ses projets, ses espérances).
Cette relecture qui se veut nuancée tout en restant assez vague est
donc elle aussi située.
Ainsi la prise de position du christianisme –
risquée, disais-je – apparaît comme la volonté de critiquer tout le
monde et de s’opposer à tout le monde. A ce propos je ferais
remarquer que la critique n’est pas le propre du christianisme
occidental[7].
Personne, en effet n’ignore que pour le bouddhisme les opinions
différentes de l’enseignement de l’Eveillé sont considérées comme de
l’ignorance, premier chaînon de causes qui engendre tout ce monde
d’illusion et de souffrance. Personne non plus n’oublie que dans les
discussions avec leurs adversaires, les bouddhistes, en rejetant le
tétralemme[8],
ne leur laissent aucune chance. Il est en outre bien connu, qu’au
Vietnam, à partir qu XVe siècle, c’est-à-dire à partir de la dynastie
des Lê postérieurs, les historiens confucéens, tels
Leâ Vaên Höu
ou
Ngoâ Só Lieân
ont sévèrement critiqué le bouddhisme, les rois cependant ne
touchèrent pas à ses privilèges acquis pendant les quatre siècles
précédents, se contentant de ne pas en accorder de nouveaux. Faut-il
préciser que les critiques du bouddhisme par des missionnaires
chrétiens ont été, pour la plupart, simplement reprises des
confucianistes ? J’ajouterais enfin que les critiques dont on a parlé,
étaient aux XVIIe et XVIIIe siècles soit publiées en Europe dans des
langues européennes, soit restées au Vietnam à l’état de manuscrits,
en latin ou en vietnamien romanisé, destinées à l’usage interne, et
par conséquent, elles ne pouvaient guère être la cause éventuelle des
persécutions de l’époque.
Au sujet de
l’accusation souvent répétée du manque d’adaptation ou
d’inculturation, je ferais deux remarques : a) Les chrétiens
vietnamiens sont déjà, avant leur baptême, baignés dans le système
politique et social confucéen. Comme leur entourage, ils vivent tout
naturellement dans le cadre des trois liens (Souverain-sujet, Père/Parent-enfant,
Epoux-épouse) et dans la pratique des cinq vertus
(Humanité/bienveillance, Justice/attachement, Politesse/urbanité,
Sagesse, Fidélité/confiance). Il faudrait donc réexaminer le bien
fondé de l’accusation selon laquelle le christianisme aurait détruit
les bonnes mœurs du pays. b) Pour l’enseignement de la doctrine
chrétienne, les missionnaires ont fait un grand effort dès le XVIIe
siècle, avec l’aide des Vietnamiens, pour prêcher et écrire en
vietnamien, y compris en écriture vietnamienne sinisée (le nôm),
et en même temps pour trouver des mots aptes à traduire des concepts
chrétiens, alors que, à cette époque, et bien longtemps encore, les
trois religions ont gardé leurs livres en chinois. De plus ils ont
fait usage des formes littéraires en cours dans la population : poèmes
didactiques, pièces de théâtre pour représenter les épisodes de
l’Histoire Sainte ou de la vie des saints.
Si, faute
d’adaptation ou d’inculturation, le message chrétien était
incompréhensible, comment serait-il possible qu’il y ait eu des
conversions, y compris dans les rangs des lettrés ou même dans les
familles royales ? Ce n’était, bien sûr, que des conversions
individuelles, car la situation n’était nullement comparable avec le
bouddhisme, soutenu pendant quatre siècles par les souverains du pays.
En somme, si on
laisse de côté le fait connu que ceux ont le pouvoir ont de tout temps
la tentation de faire taire ceux qui ne sont pas d’accord avec eux,
alors ici ce ne sont ni des critiques contre les autres religions,
fréquentes déjà entre les trois religions, ni l’absence d’adaptation
qui auraient pu être les causes de la persécution des chrétiens. A mon
avis, les causes immédiates des persécutions – d’ailleurs ponctuelles
et peu nombreuses pendant les XVIIe et XVIIIe siècles – ne sont pas à
chercher au niveau théorique des considérations générales et
abstraites, mais plutôt au niveau pratique, concret, de la vie
religieuse. En effet, il existait dans chaque village le culte du
génie tutélaire, auquel naturellement tout le monde participait. Pour
les chrétiens, qui autrement vivaient comme tout le monde, c’était un
grave problème : adorateurs du Dieu unique et transcendant, maître
véritable du Ciel et de la Terre (Thieân
Ñòa Chaân Chuùa),
ils devaient renoncer à tous les esprits qui, n’étant pas le vrai
Dieu, sont appelés des idoles, des adversaires de Dieu. Ainsi pour se
faire dispenser de ce culte considéré comme idolâtrique, ils devaient
négocier avec le conseil communal, moyennant paiement en espèces,
comme « participation aux frais ». Solution pas toujours satisfaisante
du point de vue doctrinal, ni toujours admise dans la pratique, car,
d’un côté, certains missionnaires rigoristes la considérèrent comme
une contribution détournée, mais effective, à l’idolâtrie et, de
l’autre côté, certains conseils communaux, plus intransigeants et
moins compréhensifs, refusèrent cette tractation assimilée à de la
corruption et les dénoncèrent auprès des mandarins du district. La
persécution décidée d’en haut, est renforcée en bas par la récompense
accordée aux dénonciateurs – n’oublions cependant pas que certains
non-chrétiens avaient de la pitié pour ceux qui étaient persécutés
injustement.
Pour cette première étape, généralement
paisible, les chrétiens furent de temps à autre poursuivis pour des
raisons clairement religieuses, comme témoins du Dieu unique[9].
Cependant dans les Annales royales de l’époque, on signale en passant
quelques persécutions ponctuelles en accusant d’une manière vague les
chrétiens d’avoir perverti les mœurs. Accusation étonnante, car,
comme dit précédemment, les chrétiens respectent l’ordre politique et
moral confucéen, dont ils se sentent proches et qui en outre se
trouve intégré dans leur système des Dix Commandements et malgré cela
ils sont persécutés, comme dans la suite, précisément par le pouvoir
confucéen, sans se révolter contre le pouvoir légitime..
12- Conscience identitaire face aux Occidentaux
Si la conscience
identitaire est définie dans la première étape par rapport à la Chine,
elle est redéfinie dans la seconde étape face à l’Occident au cours du
XIXe siècle dans des conditions troubles : méfiance du roi
Minh Maïng
(1820-1841) à l’égard des Français qui ont travaillé avec son père,
refus de la modernité et retour à la culture chinoise, persécution
systématique des chrétiens ; puis intervention des armées étrangères,
françaises et espagnoles ; défaite militaire du Vietnam divisé dans la
suite en une colonie et deux protectorats ; chrétiens accusés en bloc
de collaboration ; soulèvement, organisé par un groupe de lettrés, de
villages non chrétiens pour attaquer des villages et hameaux
chrétiens ; résistances royaliste, puis nationaliste et enfin
communiste ; guerre de libération, division du pays et guerre entre
les zones Nord et Sud, mouvement bouddhiste, victoire communiste et
réunification du pays, exil d’environ un million de Vietnamiens,
continuation de discussions animées entre exilés.
Et jusqu’à ce jour
on se pose encore de temps à autre la question « qu’est-ce être
Vietnamien ? » Les réponses sont souvent implicitement données, en
laissant transparaître des exclusions d’un groupe par un autre :
communistes, puis bouddhistes s’identifiant à la nation, et enfin,
comme pour éviter d’être mis à l’écart, un groupe de catholiques fonde
l’association controversée « Catholiques et Nation ».
C’est dire qu’on est
encore loin d’arriver à dépassionner l’étude de ces 200 dernières
années. A ma connaissance, mise à part l’œuvre monumentale, en
publication depuis 1969, très fouillée mais encore inachevée, de
l’historien Etienne
Voõ Ñöùc Haïnh,
La place du Catholicisme dans les Relations entre la France et le
Vietnam, on se trouve souvent devant des écrits, soit de témoins
unilatéralement engagés, soit de militants politiques qui dans
certains domaines semblent prendre beaucoup de libertés dans la
sélection et l’interprétation des documents et des témoignages.
Je n’ai pas la
compétence pour me risquer dans ce domaine piégé. Je me limiterai à
deux remarques : a) on parle souvent de l’identité d’une nation ou
d’une personne, comme si c’était quelque chose de figé une fois pour
toutes, et non comme une réalité soumise continuellement à
l’évolution. b) quand on lit des livres écrits par certains auteurs
vietnamiens, il faut faire attention à leur mauvaise habitude
d’employer des termes imprécis, habitude favorisée par l’absence de
certaines formes grammaticales. Quand ils écrivent par exemple « coäng
saûn », on ne
sait pas s’ils veulent dire « la doctrine/théorie communiste », « le
système/régime communiste », « les communistes », « des communistes »
ou l’adjectif « communiste ». De même le terme « Phaät
giaùo » peut
signifier « la doctrine bouddhique », « l’organisation/communauté
(laquelle ?) bouddhique », « les bouddhistes », « des bouddhistes » ou
l’adjectif « bouddhique ». On devine la difficulté d’en donner la
traduction française précise. Mais cette imprécision entretenue, on
l’aura deviné, rend possible des glissements de sens, dus à la
négligence ou même voulus en vue de certaines manipulations .
Dans cette seconde
étape de la rencontre avec l’Occident, on a perdu de vue le fait
que depuis 200 ans
les missionnaires envoyés par les autorités religieuses étaient venus
non armés, sur des bateaux de commerçants, et on ne prend en compte
désormais que le pays d’origine qu’ils avaient en commun avec les
soldats récemment arrivés au pays sur ordre de leurs chefs politiques.
Comme s’ils poursuivaient les mêmes buts, avec les mêmes moyens ! Peu
de personnes étaient capables de faire la distinction et les chrétiens
étaient coincés entre deux adversaires politiques. En tout cas
l’amalgame fut vite fait.
Il me semble que
c’est justement dans cette situation embrouillée que l’idée de l’unité
des trois religions d’Asie fut redécouverte comme élément clef dans la
redéfinition de l’identité asiatique par opposition à l’Occident. Face
à cet Occident considéré maintenant comme indissolublement chrétien et
colonialiste, impérialiste, on construit petit à petit, jusqu’à nos
jours, des clichés contrastants, flatteurs pour l’Orient. Et on y
croit volontiers sans penser à les vérifier.
Ainsi, d’un côté,
on présente cette Asie de l’unité des trois religions comme
naturellement dotée de l’esprit de tolérance, sans
dogmatisme, toujours à la recherche de l’harmonie. Et c’est
pourquoi, on proclame comme pour se convaincre soi-même qu’il n’y a
pas eu de guerres de religion en Asie. De l’autre côté, on dépeint
l’Occident chrétien – et dans son sillage, les chrétiens vietnamiens –
comme aspirant à la domination, cherchant à provoquer les
conflits, avec à sa base une religion dogmatique,
intolérante et incapable de s’adapter, de se mêler, ou du moins à
s’entendre avec les autres.
Ces clichés ne sont
pas sans conséquences pratiques : pas question de tolérer ceux qui
sont intolérants ! On sait quelle action entreprendre. Et face à cet
Occident, il faut revenir au fonds commun asiatique, à la Chine :
c’est ce qu’a fait le roi
Minh Maïng, confucianiste.
Tout d’abord l’action d’un certain nombre de
lettrés confucianistes pendant le dernier quart du XIXe siècle. Après
la perte de l’indépendance nationale et la chute de la monarchie dans
l’insignifiance, une partie d’entre eux, royalistes mais refusant le
défaitisme du roi, se sentirent porteurs de la conscience nationale.
Ils proclamèrent la guerre contre les Occidentaux et contre ces
traîtres de chrétiens. N’étant pas assez forts contre l’armée
étrangère, ils s’acharnèrent sur les chrétiens. Ils accusèrent
violemment ces derniers d’avoir perdu le sens de la fidélité au
souverain et de la piété filiale et d’avoir perverti les bonnes mœurs
qui définissent l’humain. Curieusement, la postérité parle en bloc des
lettrés comme étant tous des patriotes[10],
en taisant le fait que la masse des mandarins ont bel et bien choisi
de collaborer avec le pouvoir colonial. Quelques révolutionnaires
cependant ont su garder le sens de la justice, en mentionnant des
chrétiens résistants, dont un certain nombre ont été envoyés au bagne
de Poulo-Condor.
Les taoïstes
semblent rester hors jeu, fidèles en tout temps à leur principe : se
désengager de ce monde éphémère. Beaucoup les considèrent comme des
chercheurs de l’immortalité dans un autre monde, ou simplement comme
des adeptes des pratiques de la magie. Après la défaite des lettrés,
les nationalistes, entre autres ceux du parti
Quoác daân ñaûng,
inspiré du Kuo Min Tang chinois, républicain, prennent la
relève, mais, se rendant compte de la nécessité de réaliser l’union
nationale, sans exclure personne, ils centrent leur lutte sur le plan
politique et militaire. De toute façon, suite au retrait du Taoïsme et
du recul du Confucianisme sur le plan politique, c’est,semble-t-il, le
tour du Bouddhisme, resté auparavant à l’écart des choses de ce monde,
d’occuper le devant de la scène.
Au XXe siècle, la greffe de la culture
occidentale sur l’ancienne est devenue un fait et a apporté bien des
changements. Mais certains intellectuels continuent à attaquer le
caractère occidental, non national[11],
du christianisme. Tout en écrivant désormais avec l’écriture
romanisée, ils accusent les missionnaires d’avoir voulu, en inventant
et en diffusant ce mode d’écriture, couper les racines … chinoises de
la culture vietnamienne, pour faciliter la propagande religieuse.
C’est simplement ignorer que l’écriture sinisée (nôm) est
utilisée par les chrétiens dans leurs livres religieux du XVIIe
jusqu’au milieu du XXe siècle, et que le premier dictionnaire nôm
a été, en collaboration étroite avec des chrétiens vietnamiens,
confectionné dès la fin du XVIIIe siècle par le missionnaire Pigneaux
de Béhaine et imprimé au XIXe siècle par un autre missionnaire, Taberd.
Alors qu’à l’époque les lettrés s’intéressaient plus au chinois qu’à
l’écriture nôm de la langue nationale. Il y a bien d’autres
accusations, mais laissons aux historiens le soin de démêler, hors du
contexte passionné, le vrai et le faux
Quant aux
communistes, il est permis, en un certain sens, de les considérer eux
aussi comme des héritiers des confucianistes. En effet, si les
confucianistes forment l’élite, consciente du devoir d’éduquer la
masse, les communistes, eux aussi, conscients de former la nouvelle
élite – ne revendiquent-ils pas d’être la conscience du prolétariat ?
– éduquent et mobilisent la masse à la lutte, sans recourir à la
religion, non seulement contre les forces d’occupation, mais aussi –
et c’est leur nouveauté – contre les féodaux du pays, ainsi que contre
les cléricalismes de tout bord.
Ainsi donc, au XXe
siècle, depuis les années 60, les bouddhistes, considérés jusque là
comme des adeptes du détachement de ce monde éphémère, illusoire et
plein de souffrance, se sont mobilisés sur le plan politique, avec un
savoir-faire étonnant, comme mouvement religieux, pour défendre le
Dharma et, depuis peu, les droits humains. Voulant sans doute donner à
leur lutte la portée nationale, certains présentent la thèse que le
bouddhisme (ou les bouddhistes ?) est identique à la nation
vietnamienne et que par conséquent le bouddhisme (les bouddhistes ?),
ne pouvant être que fidèle à soi-même, ne peut jamais être traître à
la nation. Faut-il voir dans cette nouvelle définition de l’identité
nationale l’inspiration du Bouddhisme Unifié ? Je ne saurais y
répondre, car l’histoire de ces dernières quarante années n’a pu être
abordée de manière dépassionnée, et avec le temps qui court beaucoup
de témoins vont disparaître sans avoir l’opportunité de s’exprimer.
C’est avec ce retour
du religieux que nous pouvons reprendre la question de l’unité des
trois religions.
2-
Synthèse ou
syncrétisme ?
Avec l’arrivée
au Sud-Vietnam de nouveaux mouvements politico-religieux, tels le
Caodaiïsme, le Bouddhisme
Hoøa-Haûo,
et des divers maîtres religieux
(oâng
ñaïo),
le
champ religieux déborde largement le cadre des trois religions. Mais
déjà les religions traditionnelles, c’est-à-dire les trois religions,
plus les cultes des héros nationaux, des déesses-mères et les
divinités des trois ou quatre mondes, sont tellement imbriquées les
unes dans les autres que les connaisseurs, contrairement à certains
militants politiques, sont d’avis qu’il n’est pas possible d’attribuer
à chacune d’elles tel ou tel pourcentage de la population[12]..
Ainsi, par
exemple, le Vénérable
Thích Nhaát
Haïnh écrit en 1966, au cœur
des luttes des bouddhistes contre le gouvernement sud-vietnamien, dans
le livre mentionné plus haut
Hoa sen trong
bieån löûa (Le lotus dans
l’océan de feu), p. 15 :
«La synthèse des trois religions est toujours réalisée parfaitement au
niveau de la masse populaire, et c’est pourquoi le bouddhisme est le
dénominateur commun des croyances populaires du Vietnam. Quand
quelqu’un se présente comme confucianiste, il ne nie pas qu’il soit
bouddhiste. Et quand il se présente comme bouddhiste, il ne nie pas
qu’il soit confucianiste. Voilà pourquoi au Vietnam on ne peut pas
dire que dans la population il y a tel ou tel pourcentage de
confucianistes, de taoïstes ou de bouddhistes … L’idée de ‘l’unité des
trois religions’, issue de l’époque des dynasties
Lyù
et
Traàn a donné aux croyances
populaires du Vietnam un aspect de synthèse. Si nous étudions la vie
religieuse d’une famille paysanne, par exemple, nous y trouverons
intimement harmonisés des éléments bouddhistes, taoïstes et
confucianistes. Les croyances populaires au Vietnam n’ont jamais été
du bouddhisme pur : en plus des éléments confucianistes et taoïstes,
elles comportent encore des croyances typiquement locales qui ont
existé bien avant l’arrivée des trois religion. ».
A ce propos, il
nous semble que, pour avoir voulu trop ou tout embrasser, le Vénérable
ait dû entendre les mots « synthèse » et « harmonie », dans un sens
trop large, sans expliquer qui aurait pu élaborer la synthèse, en quoi
cette synthèse serait parfaite, en quoi consisterait l’harmonie
intime, pourquoi et en quoi le bouddhisme pourrait être le
dénominateur commun. Malgré tous les propos assez bien nuancés qu’on
vient de lire plus haut, l’affirmation générale du caractère non
dogmatique de ce « dénominateur commun » comporte cet avantage
pratique de présenter presque tous les Vietnamiens adeptes de divers
cultes comme étant des bouddhistes. Mais l’inconvénient c’est que,
dans la pratique également, on ne peut plus contrôler la vraie
position de tous ceux qui se présentent comme bouddhistes ou de
certains qui agissent plus que bruyamment en son nom.
Revenons à la
question de l’unité des trois religions, non pas en faisant la
comparaison, toujours très difficile et délicate, entre les textes
doctrinaux, mais en s’appuyant sur les faits de la vie quotidienne.
21- Absence de
confrontation
Tout
d’abord notons que l’on parle d’unité ou d’harmonie, dans un sens mal
défini, en arguant qu’il n’y a pas eu de confrontation ou de guerre de
religion. Une petite nuance s’impose ici. Rappelons encore ici que,
d’une part, le pouvoir confucéen a pendant plusieurs siècles considéré
l’ordre moral et politique préconisé par Maître Kong comme la voie
correcte et les autres doctrines comme des voies déviantes qu’il
faudrait avoir à l’œil, et que, d’autre part, pour les disciples de
l’Eveillé les voies différentes du sien relève tout simplement de
l’ignorance. Face à ces prises de position tranchées de la part des
élites bien instruites, les gens du peuple, semble-t-il, se composent,
comme par bricolage, chacun pour soi et selon les circonstances
variables, une voie pratique, qui ne cherche pas nécessairement la
cohérence.
Par ailleurs cette
absence de confrontation pourrait s’expliquer de plusieurs façons.
Premièrement, par la séparation des domaines : en effet le
confucianisme préconise l’engagement dans la construction de la
société humaine, par l’instauration d’un ordre politique et moral basé
sur les trois liens sociaux et les cinq vertus ; quant au taoïsme et
au bouddhisme, ils visent précisément la sortie hors de ce monde
éphémère ou illusoire, le premier, en cherchant l’immortalité dans un
monde supérieur, et le second, en refusant toute existence dans ce
monde des choses conditionnées. Deuxièmement, par le compartimentage
dans la vie de chacun : dans la première période de la vie, l’homme
travaille activement dans l’esprit de Confucius à édifier le monde
social dont il est responsable ; ensuite, à la retraite, il se retire
de la vie active et se met à la recherche d’un autre monde, ou d’aucun
autre monde. Enfin, troisièmement, la position dite non-dogmatique
semble impliquer qu’on n’a pas de conviction à défendre, rendant vaine
et inutile toute confrontation idéologique.
La séparation des
domaines d’application pour chaque doctrine et le compartimentage de
la vie de chacun rendent inutile l’unification des doctrines ainsi que
l’unité de la vie humaine. Si chacun s’intéresse au bon moment à son
domaine ainsi délimité, il n’y aurait moins de conflit d’intérêts
mondains. Certes, l’absence de confrontation peut ainsi garantir une
certaine paix, mais on est loin de tendre soit vers l’accord entre les
hommes, soit vers l’unité ou l’harmonie des doctrines.
22- Assimilation des
panthéons
L’absence
de confrontation, due à l’absence de prise de position théorique – ou
plutôt l’indifférence à l’égard des théories – favorise dans la
population une certaine pratique relativiste et pluraliste, que
certains qualifient de tolérante, dans laquelle, pour les besoins de
la cause on s’adresse indifféremment à des êtres supérieurs, quels
qu’ils soient et quel que soit leur panthéon d’origine.
Si dans la Grèce
antique, la définition de la piété comme étant le fait de faire ce qui
plaît aux divinités – dans le dialogue Euthyphron de Platon –,
était mise en question par Socrate, arguant que ce qui plaît à l’une
d’elles peut fort bien déplaire à une autre, la religion populaire au
Vietnam, quant à elle, semble ignorer un tel questionnement théorique,
puisque l’on n’aurait rien à perdre, pratiquement, à être en bons
termes avec tous les êtres supérieurs.
Les êtres supérieurs
tendent dans la conscience populaire à être assimilés les uns aux
autres. On parle de « Trôøi Phaät »
(le Ciel-Bouddha), de
« caàu Trôøi khaán Phaät » (prier le Ciel et implorer le Bouddha),
ou de « Phaät
Thaùnh Tieân »
(Bouddha, les Saints ou les Sages, et les Immortels). Certaines
divinités comme le soleil, la lune ou le dieu de la cuisine, sont même
appelées bodhisattvas. L’assimilation ne peut jamais être – car
paradoxalement ce serait alors la synthèse – car on trouve encore
différents cas de figures. En effet, il existe souvent, dans les
temples, des statues des divinités relevant de divers panthéons, avec
la prédominance, selon les cas, du bouddhisme, du taoïsme, du
confucianisme ou du culte populaire des déesses-mères des trois ou
quatre mondes. Avec, pour un certain nombre de cas, des temples où il
y a de tout, sauf des divinités bouddhistes, et d’autres où il n’y a
rien d’autre que des personnages bouddhistes.
Le culte des déesses-mères relève d’une autre
origine que le bouddhisme, mais dans certains temples, on peut trouver
une statue de Bouddha parmi celles des autres divinités, et dans
quelques versions de leurs légendes, on peut même lire que la
déesse-mère dont il s’agit, ayant été sauvée de la détresse par le
Bouddha, auraient adhéré au bouddhisme, en prenant refuge auprès de
Bouddha, de sa doctrine (Dharma) et de sa communauté (sangha). C’est
le signe évident d’une tentative de récupération tardive par certains
bouddhistes, qui veulent par là affirmer la supériorité de leur
religion sur le culte des déesses-mères, en faisant du Bouddha une
divinité parmi les autres, mieux, la divinité la plus puissante,
créatrice même de l’univers. Désormais dans le culte des déesses-mères
on peut parfois trouver aussi bien l’insertion des invocations de
Bouddha dans des poèmes chantés en l’honneur d’autres divinités, que
la récitation des mantras ou des dharanis (en chinois : shen zhou)[13].
Certaines pagodes éditent et diffusent chaque année dans la population
ces formules magiques, avec le calendrier des fêtes de toutes des
religions traditionnelles[14],
ainsi qu’avec des horoscopes très détaillés pour chaque jour de
l’année. Ce processus confirme, encore une fois, la tendance d’un
certain bouddhisme à vouloir pratiquement tout récupérer en son sein,
sans toujours poser la question théorique de la compatibilité entre
ces cultes et la doctrine des quatre nobles vérités.
Le rapprochement
entre le bouddhisme et le culte des déesses-mères se trouve encore
facilité par le fait que le bodhisattva Avalokitesvara, personnage
masculin dans le bouddhisme indien, est devenu en Extrême-Orient une
divinité féminine – Guan Yin en chinois, Quan Âm en vietnamien –
déesse de la miséricorde et donneuse d’enfants.
Il n’est pas
étonnant que dans cette situation où tout est mélangé – des
publications vietnamiennes à l’étranger dirigées par une élite
bouddhiste en témoignent – des Vietnamiens adeptes de divers cultes,
surtout ceux qui se cherchent une identité culturelle dans les pays
d’accueil, sont présentés tous, ou ont l’habitude de se présenter
comme des bouddhistes. Sauf une petite minorité bien instruite, qui se
présente comme confucianiste.
Un autre fait remarquable : même la morale
politique, sociale et familiale enseignée par le confucianisme et
adoptée sans difficulté par les chrétiens vietnamiens[15],
et qui se résume dans les deux vertus, la fidélité au souverain et la
piété filiale, est présentée aux masses populaires tout simplement
comme l’enseignement de Bouddha lui-même. On diffuse encore de nos
jours des petits livres populaires qui parlent en ce sens. Encore une
confirmation de la situation des religions au Vietnam.
Notons cependant
qu’il existe des résistances à cette tendance au mélange. Tout d’abord
le culte des héros nationaux, en particulier celui du Général
Traàn Höng Ñaïo,
le vainqueur des envahisseurs mongols au XIIIe siècle, fonctionne
dans son cadre propre, dans ses temples propres, différents des
pagodes bouddhiques. De même les séances de possessions médiumniques
font intervenir des déesses-mères et les esprits des trois ou des
quatre mondes, mais non pas des divinités bouddhiques. Dans bon nombre
de temples relevant de ce culte il n’y a pas de statue de Bouddha.
Enfin, le culte taoïste, qui à ma connaissance n’est pas encore
l’objet d’études bien fouillées au Vietnam[16],
possède un panthéon bien fourni, mais difficilement réductible aux
bouddhas ou bodhisattvas. Comme dans la population, il ne semble pas y
avoir de distinction très nette entre les rites funéraires
confucianistes, bouddhiques ou taoïstes, il serait intéressant de
procéder dans ce domaine à une étude comparative précise.
23- Récapitulation
Après la chute de la
monarchie et l’éclipse de l’élite confucéenne qui l’a soutenue, le
confucianisme, doctrine d’Etat pendant plus de cinq siècles, disparaît
du champ politique. De plus, le taoïsme, fidèle à ses principes, se
maintient à l’écart des luttes pour la gloire et la richesse dans ce
monde. C’est donc dans cette situation qu’une certaine élite
bouddhiste se met à récupérer et à entretenir les pratiques
religieuses des autres religions, et présente le bouddhisme comme le
dénominateur commun dans la synthèse et l’harmonie des religions
traditionnelles au Vietnam, mieux, comme porteur de la culture
vietnamienne toute entière. Et cela surtout depuis que des
bouddhistes, laissant de côté la voie pure de la méditation de la
vacuité, ont choisi, au nom du Dharma, de se salir les mains dans les
bagarres politiques, humaines trop humaines, de ce monde.
Cependant, à mon
avis, le vrai dénominateur commun dans la vie sociale au Vietnam ne
réside moins dans les théories métaphysiques, d’ailleurs très
divergentes, des différentes religions, que dans la mise en pratique
généralisée de la morale confucéenne. Et cela malgré le fait que le
confucianisme n’est pas représenté par un parti politique. En effet,
contrairement à certaines religions qui présentent sur l’au-delà des
descriptions détaillées et saisissantes, Maître Kong a une attitude
nettement réservée face à ces questions sur la religion, sur
l’au-delà. Il se demande : « Le Ciel lui-même parle-t-il jamais ? Les
quatre saisons se succèdent, les cent créatures prolifèrent :
qu’est-il besoin au Ciel de parler, » (Lunyu, XVII, 19) . Il
recommande à ses disciples d’ « honorer esprits et démons tout en les
tenant à distance ». Et à Zilu qui demande comment servir les esprits,
il répond : « Tant qu’on ne sait pas servir les hommes, comment
peut-on servir leurs mânes ? » (Lunyu, VI, 20).. Au sujet de la
mort, il dit : « Tant qu’on ne sait pas ce qu’est la vie, comment
peut-on savoir ce qu’est la mort ? » (Lunyu, XI, 11). Sa morale
enseigne la loyauté envers l’autorité politique, la piété
filiale envers les parents et les cinq vertus régissant les
rapports humains en général. C’est elle qui imprègne toute la vie en
société.
Nous arrivons
maintenant à la question posée : synthèse ou syncrétisme ?
S’il faut donner une
réponse claire, j’opterais pour syncrétisme, du moins pour la très
longue période où les trois religions pouvaient s’affirmer ensemble
sans contrainte. Car une synthèse se devrait d’être bien plus
réfléchie et plus cohérente.
Je reprends la remarque de Madame le Professeur
Julia Ching sur la Chine, mais qui me semble aussi valable pour le
Vietnam : « Ce syncrétisme a surtout été le fait des couches
populaires ; il a conduit à une harmonisation, au service du
bouddhisme, entre bouddhisme et taoïsme et entre les trois religions
de la Chine, pour aboutir en fin de compte à une religion populaire
qui emprunte aux trois religions »[17] ;
cependant avec cette grande réserve que je n’aurais pas utilisé le mot
« harmonisation » qui implique, à mon avis, une opération plus
consciente et mieux contrôlée, ce qui ne semble pas être le cas de la
masse d’individus anonymes. En philosophie il peut y avoir chez
certains penseurs du syncrétisme, mais ils organisent les éléments de
différentes origines en une unité cohérente et structurée. Le
syncrétisme dont il s’agit ici ne me semble aboutir ni à une unité
doctrinale, ni à une unité pratique des trois religions.
Pour la période contemporaine, j’hésite à
attribuer au bouddhisme, du moins dans son inspiration fondatrice, la
faculté immense d’adaptation lui permettant de tout digérer, sans
perdre sa propre identité. Je cite encore le Professeur Julia Ching :
« Si le bouddhisme a survécu en Chine, c’est en se mettant au service
d’idéaux chinois, notamment les valeurs familiales confucianistes,
conformant ainsi une affirmation fondamentalement chinoise : celle de
l’importance de cette vie et de ce monde (…) L’accent mis sur l’idéal
du bodhisattva donne pratiquement congé à l’idée de nirvana, remplacée
par le désir de la renaissance dans le Pays Pur »[18].
Ce qui semble bien s’appliquer tout d’abord au bouddhisme populaire
vietnamien qui, on l’a vu, attribue la morale confucéenne à
l’enseignement de Bouddha lui-même et, ensuite à une branche du
bouddhisme qui revendique la représentation de la nation vietnamienne
et la direction de la lutte politique, confirmant éloquemment par là
même l’importance et la consistance de cette vie et de ce monde.
Je prends acte de ces faits. Ceux-ci me
suggèrent précisément de poser le problème d’un autre point de vue.
Non pas le point de vue de ceux qui, tout en voulant maintenir
l’identité spécifique de sa doctrine ou religion, veulent l’adapter ou
l’inculturer dans une culture nouvelle, ou la réaliser dans ce monde,
mais celui des gens qui réceptionnent une religion nouvelle. Or nous
connaissons l’adage de la philosophie classique en Occident – adage
confirmé par la sociologie contemporaine – à savoir que :
ce qui est reçu est réceptionné selon les
modalités de celui qui le reçoit[19],
c’est-à-dire selon sa conception du monde, ses désirs, ses attentes,
ses projets et ses espérances. En ce sens, c’est la population du
Vietnam qui a réceptionné à sa façon les trois religions
traditionnelles venues de l’étranger –comme elle réceptionnera plus
tard le christianisme.
Ce point de vue
populaire pourrait expliquer : a) pourquoi les hautes spéculations du
taoïsme ont moins de succès que les techniques magiques, attribuées au
taoïsme, et qui servent, croit-on, à dominer efficacement la nature ;
b) pourquoi les petites gens s’intéressent plus à des pouvoirs
extraordinaires attribués à des bouddhas et bodhisattvas (déclenchés
par da récitation des formules secrètes) qu’à la doctrine de l’ascète
Gautama, le Bouddha historique, selon laquelle il faut sortir de ce
monde d’illusion et sans consistance. On a l’impression que les gens
souhaitent des bonnes choses de ce monde, comme par exemple la
prospérité et le bonheur, et courent après tous ceux qui les leur
promettent. On comprend aujourd’hui en Occident le succès des livres
du Dalaï Lama sur le bonheur.
Si en Europe,
Voltaire et Feuerbach, parodiant la Bible, affirment que ce n’est pas
Dieu qui a créé l’homme à son image, mais c’est l’homme qui a créé
Dieu à son image, on pourrait se demander si en Extrême-Orient, les
peuples n’ont pas recréé Lao-Tse et Bouddha à leur image, selon leur
désirs. De même : dans quelle mesure le bouddhisme a-t-il gagné les
peuples d’Asie ? ou dans quelle mesure les peuples d’Asie ont-ils
gagné le bouddhisme ?
La discussion menée
ci-dessus sur l’unité, l’harmonie ou la synthèse des trois religions
traditionnelles du Vietnam ne vise qu’un but modeste : relever la
complexité du problème, que souvent dans le feu de l’action
idéologique on tend à simplifier à l’extrême. A ce sujet je voudrais
faire deux remarques :
a) Les doctrines, en
tant que systèmes théoriques cohérents construits sur des évidences
spécifiques admises dès le point de départ, ne peuvent pas se
mélanger. Il n’y a pas de dialogue entre les doctrines, mais seulement
entre les personnes, sujets libres. Car dans la transmission à travers
les générations, les doctrines sont réceptionnées par des hommes qui
les comprennent, les interprètent et les assouplissent à leur manière,
selon leur situation biographique. D’où la naissance des écoles et
sectes divergentes. Il est donc important de savoir distinguer les
doctrines de ceux qui s’en réclament.
b) Les
harmonisations sont le fait des hommes qui cherchent la cohérence en
eux-mêmes, en se servant, comme à la carte, des éléments doctrinaux
disponibles dans la culture ambiante et interprétés à leur façon. Le
dialogue des cultures est difficile, si les hommes sont crispés sur
leur identité fermée, avec un ensemble immuable d’évidences,
d’expériences propres et d’ interprétations. Ce serait un dialogue de
sourds. Le dialogue commence à l’intérieur de chaque personne qui
dispose des éléments de plusieurs doctrines et qui cherche, dans la
critique et l’autocritique, à en faire une synthèse cohérente pour
elle-même, ou qui se contente simplement de les juxtaposer. Ce sont
ces personnes qui sont capables de dialoguer avec les autres. L’unité
ou l’harmonie sont à chercher dans le dialogue exigeant entre de
telles personnes.
[1]
Maurice Durand,
Techniques et Panthéon des médiums
vietnamiens (Ñoàng),
EFEO, 1959, 333 p., avec beaucoup d’illustrations et 24 chants de
culte (vaên
chaàu). J’ai consacré aussi
à ce sujet une étude, limitée au Centre-Vietnam : « Contribution
à l’étude des phénomènes religieux au Vietnam. La Sainte Religion
de l’Immortelle Céleste dans la région de Hué (Centre-Vietnam),
dans la Revue du Sud-Est Asiatique, Université Libre de
Bruxelles, 1966/1, pp. 77-102 ; 1966/2, pp. 241-258 ; 1967/1, pp.
103- 130. D’autres ont élargi le domaine des recherches au Centre
et au Sud-Vietnam. Citons seulement la toute dernière publication,
en vietnamien, sous la direction du Pr
Ngoâ Ñöùc
Thònh : Ñaïo Maãu ôû Vieät Nam (La
religion des déesses-mères au Vietnam),
Haø Noäi,
2002, 2 tomes, 492 + 402 p., avec un recueil de 100 chants de
culte.
[2]
Le mot français réalité dérivant du latin res (chose)
a un sens plutôt statique, chosiste : être là comme une chose.
[3]
Ainsi les confucianistes s’engagent dans ce monde politique et
social, laissant aux bouddhistes les spéculations sur l’au-delà de
ce monde ainsi que les rites autour de la mort.
[4]
Il serait tentant de confondre, comme le font certains historiens
vietnamiens, l’ après cela avec l’ à cause de cela
et de considérer la première étape comme la cause de la seconde et
de conclure que les missionnaires ont été des éclaireurs,
préparant la voie aux conquérants. C’est dans la même confusion
qu’à l’époque de la lutte pour l’indépendance des colonies après
la Seconde Guerre Mondiale, des Indiens, ayant vécu
douloureusement la partition politico-religieuse de l’Inde en deux
Etats ennemis, ont interprété le christianisme et la colonisation
comme étant les deux faces, spirituelle et matérielle, d’une même
et unique agression de l’Europe contre l’Asie. Ce faisant, ils ont
oublié qu’en Europe, contrairement à l’Islam qui avait conquis une
très grande partie de l’Inde, il y avait eu le principe et la
volonté de séparer la religion de la politique, qui vont chacune
selon sa voie propre et ses moyens propres (C’est le principe de
la laïcité : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui
est à Dieu). La prise de conscience de la pluralité des causes
devrait nous préserver de cette confusion.
[5]
L’oeuvre a été publiée avec traduction anglaise par Olga Dror :
Father Adriano di St. Thecla, Opusculum de Sectis aqud Sinenses et
Tunkinenses (A small Treatise on the Sects among the Chinese and
Tonkinense) : A Study of Religion in China and North Vietnam in
the Eighteenth Century, Cornell University, Ithaca, New York,
2002,239 p. avec texte latin en annexe.
[6]
Dimensions de la conscience historique, Paris, 1965, pp. 12
+ 18.
[7]
L’esprit critique qui, contrairement aux apparences, implique
avant tout l’autocritique, le christianisme occidental l’a hérité
de la Raison grecque, à laquelle il a été longtemps lui-même
confronté.
[8]
Refus de quatre positions possibles : A, non-A, A et non-A, ni A
ni non-A. Cf. l’application rigoureuse de ce principe dans :
Nagarjuna, Stances du milieu par excellence (Madhyamaka-karikas),
Traduit et annoté par Guy Bugault, Paris, Gallimard, 2002, 374 p.
[9]
Comme ce fut le cas des premiers chrétiens accusés d’athéisme,
parce qu’ils n’adoraient pas les divinités de l’Empire romain.
[10]
Grâce à l’imprécision du langage, comme je l’ai signalé.
L’expression « vaên thaân » peut en effet signifier « la classe des
lettrés », « les lettrés » ou « des lettrés ».
[11]
Depuis le XVIIe siècle les chrétiens se sont défendus contre une
telle accusation en rappelant le fait que les trois religions sont
d’origine étrangère.
[12]
Ainsi il y a une quarantaine d’années, face au mouvement
bouddhiste au Sud-Vietnam qui revendiquait la représentation de
90% de la population, le gouvernement
Ngoâ Ñình Dieäm
répondit que la grande majorité des Vietnamiens pratiquent le
culte des ancêtres (ñaïo oâng
baø), et le gouvernement militaire qui lui succéda, qu’au
Vietnam seuls les catholiques savent qui ils sont,
puisque, sauf pour le petit nombre de religieux
bouddhistes, il n’y a pas pour le reste de la population de rites
d’initiation comme le baptême chez les chrétiens.
[13]
Formules magiques incompréhensibles, censées révélées par des
bouddhas ou des bodhisattvas, et dont la récitation en un très
grand nombre de fois est par elle-même efficace.
[14]
Mais cela n’empêche pas que les associations des cultes des
déesses-mères éditent leurs calendriers propres.
[15]
Les chrétiens ont depuis le XVIIe siècle reconnu cette morale
comme compatible et convergent avec le système des dix
commandements de Dieu, en particulier avec le quatrième
commandement. Le Père Six, le curé constructeur de la célèbre
cathédrale de Phaùt-Dieäm (1825-1899), a lui-même composé – à l’instar du
Gia huaán ca
de Nguyeãn Traõi – plusieurs longs poèmes didactiques
pour enseigner cette morale à ses paroissiens. (Cf. Mgr Armand
Olichon, Le Père Six, curé de Phat-Diem, Vice-roi en Annam,
Bloud & Gay, 1941, 147 p. et l’ouvrage collectif en vietnamien
dirigé par Nguyeãn Gia Ñeä,
TRAÀN LUÏC, Montréal / Québec, 1996, 639
p.)
[16]
Avant de quitter Hué, il y a bien longtemps, j’ai eu l’occasion
de rencontrer le directeur du temple
Linh Höïïu Quaùn, sis
au quartier de Gia Hoäi,
de parler avec lui des cérémonies taoïstes et de feuilleter une
pile de livres en chinois. Mon collègue à l’université de Hué,
auquel j’avais recommandé d’y consacrer quelques recherches, ne
l’a malheureusement pas fait
[17]
Dans Julia Ching et Hans Küng, Christianisme et religion
chinoise, Paris, Seuil, 1991, p. 248.
[18]
Op. cit., p. 249.
[19]
Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur.
|
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