![]() |
Effets collatéraux au Vietnam de
l’interdiction des rites chinois
Une autre lecture
|
Antoine TRAN VAN TOAN
|
Introduction
Le problème
des rites
Pour l’Eglise catholique
l’importance des rites s’exprime dans l’adage bien connu : lex
orandi, lex credendi, la loi qui régit la prière est celle qui
régit la foi. La foi chrétienne ne peut donc pas être compatible
avec n’importe quelle forme de prière, de culte ou de rites. Si
l’interdiction brutale des rites chinois dans les missions
catholiques au XVIIIe siècle fut la conséquence de
l’application stricte de ce critère, elle révéla aussi, le peu de
considération pour ce à quoi justement les Chinois attachaient une
grande importance : les rites.
La Chine ancienne cultivait avec
soin les rites. Il ne s’agit pas d’un simple formalisme sans
intériorité, ou d’un ritualisme laissant peu de place à des
réactions spontanées, mais de quelque chose de plus profond. En
effet, dans le confucianisme l’un des cinq livres canoniques est le
Livre des Rites, et l’une des cinq vertus qui définissent l’idéal
humain est celle de rites (ou d’urbanité). Ajoutons à cela que dans
l’ancienne organisation de la Cour, l’un des cinq ministères était
celui des rites.
En Chine comme au Vietnam,
le ministère des rites avait pour fonction, entre autres, de
réglementer les rapports entre les humains, les vivants et les
morts, ainsi que le culte des divinités et des esprits, en codifiant
jusque dans les détails les rituels selon une hiérarchie bien
déterminée. Au sujet des humains devenus esprits après leur mort, ce
ministère devait faire des enquêtes pour s’assurer qu’ils avaient
mené une vie morale exemplaire, qu’ils avaient été méritants envers
la nation ou bienfaiteurs pour leurs communautés. Les esprits
immoraux ou malfaisants étaient proscrits, les élus étaient rangés
en trois classes et le souverain leur accordaient un brevet
autorisant la construction des temples et l’exercice du culte selon
un rituel fixe. C’est dans cet esprit que le roi Minh Mang du
Vietnam déclara en 1823 tout bonnement qu’il était le maître des
divinités et esprits.
On comprend alors que
l’introduction d’un Dieu jusque là inconnu, non reconnu, présenté
comme transcendant, et même supérieur au roi ou à l’empereur, ne
pouvait pas manquer de susciter de l’animosité et de l’hostilité, du
moins, de longues querelles, comme la fameuse « querelle des
rites ».
De la Chine
au Vietnam
Il est communément admis que
l’interdiction des rites chinois au XVIIIe siècle a été
un coup de frein brutal, qui a compromis pour plusieurs siècles les
efforts d’inculturation du christianisme dans les pays de culture
chinoise.
Or précisément l’évangélisation du
Vietnam est liée à celle de la Chine. Tout d’abord, les
missionnaires avaient l’habitude de passer par la Chine pour y
préparer leur mission au Vietnam. Ensuite, ils ont constaté que
Chinois et Vietnamiens ont à peu près les mêmes coutumes et les
mêmes religions. De plus, après l’indépendance au Xe
siècle, les lettrés du Vietnam continuent à maintenir, à côté de la
langue nationale parlée dans la vie quotidienne, le chinois comme la
langue de la culture, et du culte dans les trois religions
reconnues. Il leur arrivait souvent d’amener au Vietnam des livres
chrétiens rédigés en chinois, ce qui donnait au christianisme un peu
plus de prestige auprès des lettrés.
Ce n’est donc pas étonnant
qu’on a pu parfois confondre Vietnamiens et Chinois, et c’est le cas
même du Siège Apostolique dans le document intitulé Instruction à
l’usage des vicaires apostoliques en partance pour les royaumes
chinois de Tonkin et de Cochinchine (1659), document dont
l’importance n’a été perçue qu’au XXe siècle. Et en fait
la querelle des rites chinois n’a pas manqué d’avoir des effets
collatéraux durables au Vietnam.
Pour aborder le problème, nous en
rappellerons brièvement le dossier, puis nous essayerons d’en
proposer une autre lecture, en réexaminant les critères trop
théoriques appliqués dans ce rejet des rites en Asie.
I
Bref
rappel du dossier
Concernant
l’Eglise en Chine
Dans un article relativement récent
[1],
le père Roland Jacques, doyen de la Faculté de Droit Canonique de
l’Université Saint Paul (Ottawa, Canada), et grand connaisseur du
catholicisme vietnamien, a rouvert ce dossier, en présentant, avec
leurs justifications doctrinales, l’évolution des décisions
canoniques romaines, du début du XVIIIe siècle jusqu’à la
levée de l’interdiction en 1939, et en y ajoutant une analyse
détaillée des décisions tardives de la Conférence Episcopale
vietnamienne prises après 1939, ou plutôt après Vatican II.
Dans cette affaire, on a posé
comme préalable l’opposition radicale entre le culte catholique et
tout autre culte. A ce propos, le père R. Jacques écrit :
« Dans cet ensemble concordant
de textes est née une casuistique précise sur ce qui, dans les rites
et coutumes du monde sinisé, pouvait être toléré ou devait être
rejeté. Le critère appliqué dans tous les cas est de savoir si tel
geste est de nature religieuse, littéralement « superstitieuse », et
donc à rejeter absolument, ou bien s’il est de nature purement
séculière, « civile », et donc à la limite du tolérable. En tout
cas, nous semble-t-il, il ne s’est agi de déceler des valeurs
positives, susceptibles d’être intégrées en tant que telles dans la
pratique de la vie chrétienne [2]».
Notons dès maintenant l’importance
du critère adopté. Nous y reviendrons.
Les interdictions répétées avec
insistance sont l’ aboutissement de plusieurs décennies de débats.
Dans son Histoire des chrétiens de Chine
[3],
le père Jean Charbonnier signale divers facteurs intervenant dans
cette querelle entre étrangers : différence d’expériences
pastorales, conflits de pouvoir entre supérieurs religieux et
vicaires apostoliques, conflits de nationalités, conflits de
personnes. C’est humain, trop humain ! A cela s’ajoute encore la
différence des conceptions théologiques entre 1) Jésuites, en milieu
intellectuel, humanistes, sensibles aux valeurs morales et
politiques chinoises, et 2) Dominicains, Franciscains, Lazaristes,
Mission Etrangère de Paris, confrontés dans le quotidien aux
superstitions en milieu paysan.
Voici, en bref, le déroulement des
débats. Le 26 mars 1693, Mgr Maigrot de Crisney interdit la
participation aux rites traditionnels en l’honneur de Confucius et
des parents défunts, interdiction reprise plus tard, en 1707, par
Mgr de Tournon, légat du pape. Sur la demande des Jésuites,
l’empereur Kang Xi atteste du caractère purement civil, non
superstitieux de ces cérémonies. Mais à Rome la Commission qui
instruit le procès des rites est déjà convaincue de leur caractère
religieux, et donc superstitieux. Le pape Clément XI, dans son
Décret du 20 novembre 1704, conclut la controverse par un interdit
définitif. A ces deux cérémonies condamnées, Mgr de Tournon ajoute
encore, comme inconciliable avec la foi chrétienne le culte du Ciel
et de la Terre, dont l’empereur est l’officiant en titre. Le pape
l’approuve et confirme les interdits dans son Décret du 25 septembre
1710. Et pour couronner le tout, dans sa Bulle Ex illa die
(19 mars 1715), Clément XI exige de tous les missionnaires un
serment d’obéissance sur la Bible. On comprend le désarroi des
Jésuites devant la détresse des chrétiens qui continuent à pratiquer
les rites. Respectant la Bulle Ex illa die, mais voulant
minimiser les dégâts, le légat pontifical Mezzabarba accorde huit
permissions, qui seront condamnées par le Décret Ex quo
singulari (11 juillet 1742) de Benoît XIV
[4].
Il a fallu attendre jusqu’à l’Instruction Plane compertum du
8 décembre 1939, pour que l’obligation du serment soit levée, mais
cela ne signifie pas pour autant l’abrogation de toutes les
décisions pontificales sur les rites, sur lesquelles il est interdit
de polémiquer.
Concernant
l’Eglise au Vietnam
Dans l’Eglise du Vietnam, il faut
encore attendre jusqu’à Vatican II, avec la reprise des idées de l’Instruction
de 1659 et la valorisation des coutumes et conceptions de vie des
peuples, pour que le dossier des rites puisse enfin être rouvert.
Avant le Concile Vatican II
Les preuves formelles des effets
au Vietnam de l’interdiction des rites chinois sont de rares textes
encore conservés des serments faits par des prêtres vietnamiens
ordonnés au XVIIIe siècle. Le premier texte révélé au
public par le père R. Jacques (Archives secrètes du Vatican,
Collection Missioni, n°110), est rédigé en écriture
vietnamienne romanisée. Il contient le serment signé le 12 septembre
1769 par Paul Trinh, prêtre au Tonkin Occidental, et authentifié
brièvement en latin par l’ordinaire du lieu, Mgr Bertrand Reydellet
(1764-1780)
[5].
Il existe en outre dans les Archives des M.E.P. (Vol. 687, f. 701)
une version plus ancienne du serment, écrite dans un nôm
semi-cursif (ancienne écriture sinisée), et signée le 16 août 1750
par François Phan (alias Hâu), prêtre du Tonkin Occidental ; ce
serment est authentifié dans une longue formule latine par Mgr Louis
Néez (1739-1764)
[6].
Ces deux versions légèrement
différentes mentionnent, sans donner de précision, la Bulle Ex
illa die (1715) et l’interdiction des rites chinois par les
papes Clément XI et Benoît XIV. On sait qu’il s’agit bien ici du
culte ou les honneurs rendus à Confucius et aux parents défunts. A
vrai dire l’interdiction ne porte que sur un domaine relativement
limité, alors qu’il existe bien d’autres choses interdites : les
pratiques de la religion des esprits répandue dans toute la
population, et des trois religions officiellement reconnues.
Au Vietnam, c’est l’interdiction
des honneurs à rendre aux parents défunts qui touche directement et
personnellement chacun. En effet, les cultes publics sont assurés
par les représentants de la collectivité : le souverain et ses
mandarins ; mais en privé tout un chacun doit remplir le culte dû à
ses propres ancêtres : on ne peut pas le négliger sans manquer au
devoir de piété.
C’est pourquoi les missionnaires
se sont intéressés aux rites autour de la mort
[7].
Ils ont décrit les repas funéraires et les prosternations devant le
corps, celles-ci étant tantôt interdites
[8],
tantôt permises
[9]. Et
ils ont cherché à expliquer comment on peut sans manquer au devoir
de piété renoncer aux rites traditionnels et les remplacer par de
nouveaux rites exempts d’idolâtrie et de superstition.
Pour la justification des
interdictions, nous trouvons un exposé systématique, écrit en
vietnamien romanisé, dans le Volume 691 des AMEP, intitulé « TONKIN
– Lettres 1781- 1787 », p. 477-480. Sont donc interdits tous les
rites traditionnels : prosternations devant le corps, sacrifices et
offrandes de nourriture, catafalques, oriflammes magiques, etc. La
raison est que, le parent défunt, n’étant que la créature du Dieu
unique, ne doit pas recevoir les honneurs dû au seul Créateur du
monde. Mais en contrepartie on fait valoir le quatrième commandement
qui enseigne précisément la piété envers les parents et la fidélité
envers le souverain. Et l’on donne la liste de sept actes de piété
et cinq actes de fidélité.
Notons que ces interdictions sont
basées sur le critère théorique de la distinction entre les rites
religieux considérés comme superstitieux et les rites sociaux,
séculiers, considérés comme neutres. Dans la pratique il n’est pas
toujours facile de déterminer quand un acte particulier relève ou
non de la superstition. Une casuistique s’est développée, dans
laquelle les missionnaires eux-mêmes ont de la peine à se
retrouver : on ne s’entend pas, par exemple, sur le sens exact de
l’interdiction de « préparer les viandes (praeparare carnes) » à
offrir aux ancêtres : est-ce tout ensemble acheter, cuire,
assaisonner, arranger sur le plateau, ou simplement présenter
sur l’autel [10]
?.
L’interdiction est restée en
vigueur chez les catholiques du Vietnam jusqu’au Concile Vatican II.
Cependant dans la pratique on ne peut pas tout contrôler. Je me
rappelle avoir observé, lors des funérailles dans un village
catholique il y a une soixantaine d’années, que le cortège funèbre
passe, non pas par la porte principale du domaine familial, mais par
une sortie aménagée dans la haie de bambou, et rebouchée
immédiatement après le passage du cortège. Plus tard j’ai appris que
c’était pour empêcher l’âme du mort de retrouver son chemin et
rentrer dans la maison
[11].
Ainsi, on le voit, les chrétiens faisaient comme de coutume, sans se
poser de question.
Après le Concile Vatican II
Deux facteurs conjugués au XXe
siècle ont rendu possible, après le Concile Vatican II, l’initiative
des évêques vietnamiens en matière de rites : la valorisation des
cultures non européennes prescrite dans l’Instruction de 1659
[12],
et la promulgation en 1939 de l’Instruction Plane compertum.
Cependant l’Instruction de
1939, qui met fin à l’interdiction de certains rites chinois et à
l’obligation du serment, n’abrogent pas toutes les décisions
pontificales en cette matière. Théoriquement l’Eglise du Vietnam est
concernée par cette levée des interdictions, et l’on peut s’étonner
qu’il a fallu attendre encore un quart de siècle, pour qu’elle
demande à Rome de pouvoir bénéficier de cette mesure.
Il y a plusieurs raisons à cette
prise de position tardive.
La première raison, d’ordre
formel, est le respect confucéen à l’égard de l’autorité, qu’on ne
se permet pas de mettre en question.
La seconde, d’ordre matériel, est
que pour maintenir son identité religieuse dans un milieu hostile,
on tient fermement à une pratique rituelle propre.
La troisième est qu’en 1939 une
initiative vietnamienne n’était pas encore possible, puisque la
hiérarchie catholique vietnamienne ne fut pas encore créée.
La quatrième est liée à l’histoire
de l’implantation du christianisme au Vietnam. En effet, jusqu’à
l’établissement de l’ordre colonial, l’inculturation du
christianisme se faisait selon les directives de l’Instruction
de 1659, mais dans les cadres restreints du centralisme romain
(langue liturgique, missel et sacramentaire romains). A partir de la
fin du XIXe siècle, sous le régime colonial, les
missionnaires semblent croire le moment venu pour limiter
l’inculturation et promouvoir l’acculturation : l’Eglise du Vietnam
devrait assimiler tout ce que fait l’Eglise en Occident. Ainsi, pour
ne citer qu’un exemple en liturgie, dans le séminaire de Mgr
Puginier (Tonkin Occidental, 1868-1892) on commence à faire chanter
des cantiques français avec des paroles vietnamiennes. Ce procédé
s’est développé peu à peu et dans les années 30 du XXe
siècle, on faisait chanter, même dans les paroisses de campagne, non
seulement ces cantiques en vietnamien, mais encore les chants latins
du Liber Usualis (Paroissien Romain), et les cantiques
français du recueil Cantiques de la Jeunesse
[13].
Ce processus a pris fin avec la guerre d’indépendance vers les
années 40.
Quand la hiérarchie catholique
vietnamienne fut créée le 14 Novembre 1960, le Vietnam était divisé
en deux, et les évêques du Nord étaient tenus à l’écart de la vie de
l’Eglise Universelle. Les initiatives en matière de rites ont été
prises par les évêques du Sud. Ainsi le 14 Novembre 1974, après un
colloque à Nha-Trang, les évêques ont décidé de rendre publiques les
résolutions de la Conférence Episcopale sur l’évangélisation, prises
le 14 Juin 1965, au sujet des rites du culte des ancêtres. En voici
le contenu : 1) Dans les maisons familiales, l’autel des ancêtres
[14]
est situé en dessous de l’autel de Dieu, mais sans les éléments
superstitieux, comme par exemple, l’âme de soie
[15].
2) L’utilisation des baguettes d’encens et des bougies et les
prosternations devant l’autel des ancêtres en signe de respect et de
piété filiale sont autorisées. 3) Il est permis de célébrer les
anniversaires de la mort des ancêtres selon les coutumes locales,
mais sans brûler les objets et de l’argent en papier (pour les
envoyer dans l’au-delà). 4) Les nouveaux mariés sont autorisés à se
présenter à l’autel des ancêtres selon les rites anciens. 5) Lors de
funérailles, il est permis d’offrir des baguettes d’encens et de se
prosterner ou s’incliner devant le corps selon les usages du pays.
A cela s’ajoute un sixième point,
destiné à améliorer la compréhension entre chrétiens et
non-chrétiens : 6) Il est autorisé de participer à des cérémonies
dans la maison communale du village en l’honneur des génies
tutélaires, appelés des esprits bienfaisants (phuc-thàn). C’était un
point litigieux : la non participation à ces cérémonies mettait les
chrétiens à l’écart de la vie du village et provoquait des
dénonciations et des persécutions
[16].
Elles sont désormais considérées non plus comme de la superstition,
mais comme l’expression du respect et de la reconnaissance pour les
bienfaiteurs du la village.
Quelques remarques sont à faire :
1) l’interdiction de l’idolâtrie et de la superstition et le critère
de discernement entre rites religieux et rites séculiers sont
maintenus ; 2) les rites aujourd’hui permis sont censés faire partie
de ceux qui, sécularisés, ont perdu leur sens religieux initial ; 3)
les évêques prennent la responsabilité d’une innovation : autoriser
le culte – sécularisé, bien entendu – des grands hommes historiques,
méritants de la nation, bienfaiteurs des villages et ancêtres des
familles, et c’est pourquoi : 4) dans ce domaine ils comptaient sur
le discernement de chacun et l’obéissance aux autorités
ecclésiastiques.
Ce dernier point est extrêmement
important, car l’ancien Vietnam, comme d’autres pays d’Asie, avait
l’habitude d’honorer sur des autels, à l’intérieur des temples, avec
rituels et offrandes, en plus des ancêtres, les grandes
personnalités historiques (rois et généraux) et les esprits
tutélaires des villages, de la même manière que dans le culte des
diverses divinités. Le problème pour les chrétiens est de faire la
distinction, inconnue chez les non chrétiens, entre le culte
religieux du culte qui n’est que séculier.
L’on sait que les anciens rois
faisaient faire des enquêtes sur la moralité personnelle et
l’utilité nationale des personnalités admises au culte. Mais ils ne
pouvaient pas tout contrôler : les festivités en l’honneur de
certains esprits tutélaires de villages comportaient une partie
secrète, appelée « hèm », pendant laquelle on récitait dans un lieu
reculé de la maison communale leur histoire, qui n’était pas
toujours conforme aux critères confucianistes de moralité et
d’honorabilité. Nous pensons que la Conférence Episcopale
vietnamienne aura à faire le discernement, cas par cas, au sujet de
ceux qu’elle appelle aujourd’hui des « esprits bienfaisants » à
honorer. Et ce ne sera pas une mince affaire. Nous y reviendrons.
II
Essai d’une autre lecture
Nous essayons maintenant de faire
la part des choses entre la rigidité de la doctrine et la souplesse
dans la pratique.
Exclusivisme
et rigidité au niveau doctrinal
Notons que l’un des articles de
foi propres au christianisme, l’Incarnation, ne semble pas avoir
joué un grand rôle dans la querelle des rites. Les missionnaires
n’enseignaient ces mystères qu’une fois le monothéisme accepté.
C’est que, à notre avis, l’Incarnation ne constitue pas ici une
croyance vraiment originale pour les Chinois et les Vietnamiens qui
croient que certaines immortelles célestes ont été envoyées ou
exilées sur cette terre pour vivre une existence humaine. De même
pour les bouddhistes, qui considèrent comme allant de soi, selon la
tradition indienne, que les dieux et les bodhisattvas, avec leur
pouvoir magique de changer de formes à leur gré, ont eu
d’innombrables avatars ou incarnations, sous des formes
humaines ou animales. Dans le christianisme, la signification
religieuse centrée sur le monothéisme et l’Incarnation unique
devrait rendre inutiles les incarnations répétées à l’infini des
divinités et esprits.
Or le monothéisme biblique non
seulement oppose l’unicité de Dieu à la pluralité des dieux, mais
fait encore une distinction radicale entre la transcendance de Dieu
et l’immanence des esprits et divinités à notre monde. D’un côté,
l’idée de transcendance implique celle de la sainteté, celle d’un
fossé infranchissable entre Dieu et les êtres de ce monde. Pour
suggérer l’inconcevable Transcendant la Bible a pris le parti de ne
pas le nommer, ne pas prononcer le tétragramme écrit sans voyelle
[17].
De l’autre côté, notre monde forme un tout immanent comprenant la
pluralité des êtres interdépendants et hiérarchisés ; mais cette
hiérarchie n’est pas figée, elle va de pair avec la possibilité de
passer d’un niveau à l’autre. Ainsi les bouddhistes conçoivent dans
ce monde six modes d’existence – dont les dieux et les hommes – à
travers lesquels transmigrent les êtres. Dans le monde chinois, on
pense que les hommes après leur mort peuvent devenir des esprits ou
divinités
[18],
puisque l’esprit qui correspond à l’âme supérieure de l’homme en vie
devient divinité, une fois séparé du corps et de l’âme inférieure.
Le culte du Dieu Transcendant,
hors classe, ne peut être théoriquement qu’exclusif : « C’est
devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, c’est lui seul
que tu adoreras
[19]
», dit le premier commandement. Il faut donc considérer comme
idolâtre et superstitieux tout culte qui s’adresse aux êtres autres
que Dieu. Il existe dans les catéchismes vietnamiens une formule
générale consacrée qui résume tous les faux dieux : but thàn ma
qui (idoles, esprits et diable), étant admis que c’est sous la
forme des faux dieux que l’on adore le Diable, l’Adversaire de Dieu.
On y trouve aussi la liste exhaustive des faux dieux. Tous y
passent : non seulement les fondateurs des trois religions en Asie
(Bouddha
[20],
Confucius et Laozi) qui ne sont, somme toute, que des hommes, mais
aussi tous les panthéons de ces trois religions, comme de la
religion populaire. Et ce n’est pas tout. On a dressé encore la
liste de toutes les pratiques superstitieuses, comme la divination,
la sorcellerie et les diverses croyances dans les religions
pratiquées dans le pays.
Notons cependant que le culte du
Ciel et de la Terre, assuré par les souverains confucianistes, était
trop rapidement classé comme superstitieux par les premiers
missionnaires, qui croyaient obstinément que, pour les Vietnamiens,
le ciel n’est rien d’autre que cette voûte matérielle au dessus de
nos têtes, sans intelligence ni volonté, et donc ne mérite aucun
culte, parce qu’il est inférieur à l’homme doué de raison. Ils
n’examinaient ni cette conception – celle des lettrés – du Ciel en
tant que Raison immanente à l’ordre physique et moral du monde, ni
la conception populaire du Ciel (Tröi) ou de
Monsieur le Ciel (Ông Tröi) que le père Léopold Cadière a
étudiée avec soin au début du XXe siècle. L’auteur
écrit : « La prière était adressée au Ciel ou à l’Esprit du Ciel en
tant qu’être souverain, de qui dépendent la vie et la mort des
hommes, qui seul peut sauver dans les cas de profonde détresse [21]
». Autrement dit, à l’égard du Ciel la population a toutes les
attitudes religieuses habituelles : invocation, adoration,
supplication et sacrifices. Ajoutons ici que malgré leur sérieux,
les études d’ethnologie religieuse du père Cadière
[22]
n’ont pas eu l’influence qu’elles méritent sur le cours des choses
après l’interdiction des rites chinois.
Après ce grand coup de balai,
presque toutes les religions traditionnelles passent à la trappe, et
il ne reste plus que les principes de la morale confucéenne. Morale
seule, puisque, contrairement à l’éloquence intarissable développée
dans beaucoup de religions – dont principalement le bouddhisme – ,
Confucius lui-même est réticent au sujet des esprits et diables
ainsi que de ce qui arrive après la mort. Ainsi du confucianisme le
christianisme intègre aisément dans sa doctrine les cinq vertus qui
définissent l’idéal humain, et les cinq liens sociaux (souverain /
sujet, père et mère / enfant, mari / femme, lien entre les frères ou
sœurs, et lien entre les amis), lesquels sont complétés par le
nouveau lien avec Dieu qui est le Père suprême. C’est donc par le
biais du confucianisme, pratiqué par les Vietnamiens, quelle que
soit leur religion, que le christianisme s’est effectivement
inculturé au Vietnam.
Et comme tout le patrimoine
religieux du pays était considéré ainsi comme superstitieux, il est
évident que théoriquement, le christianisme ne pouvait tolérer que
des éléments non religieux, c’est-à-dire relevant de comportements
moraux, sociaux, civils, séculiers.
Pluralisme
et souplesse au niveau pratique
Dans la pratique, pour vivre la
foi, pour parler du Dieu transcendant, pour entrer en relation avec
Lui, nous ne disposons que des mots élaborés à partir de notre
expérience du monde, et des gestes et actions en direction de nos
semblables. Il est donc inévitable que lorsque nous parlons de Dieu,
nos mots n’ont qu’un sens analogique, et nous ne pouvons empêcher
que l’homme de la rue ne les comprennent dans un sens qui lui est
familier. De même dans le culte, nous utilisons habituellement les
gestes et les rites destinés à nos relations inter-humaines. Ici
nous nous approchons du problème des rites chinois : Peut-il y avoir
des mots ou des rites exclusivement réservés au culte du Dieu
unique ?
Comme dit précédemment,
l’évangélisation du Vietnam est liée à celle de la Chine. Mais, mis
à part quelques expressions consacrées
[23],
il n’y a pas beaucoup d’influence du chinois dans la traduction
vietnamienne des concepts chrétiens, ce qui n’est pas le cas des
trois autres religions. Ainsi les discussions passionnées sur la
traduction des termes religieux en Chine n’ont eu que peu d’écho au
Vietnam, qui se contente d’en accueillir la décision finale.
L’exemple le plus célèbre est l’expression utilisée en Chine pour
traduire le mot « Dieu » : après avoir mis de côté les mots « shen »
(esprit) ou « shàng di » (empereur d’en haut), on a choisi
l’expression « tian zhu » (Seigneur du Ciel). L’expression est
adoptée – à côté de la transcription phonétique du
portugais « Deus » en « Dêu » – par les Vietnamiens qui prononcent :
« Thiên Chua », mais qui la traduisent dans leur langue : « Düc Chua
Tröi », avec une nuance de respect (par le terme « Düc »), absente
dans l’expression chinoise. Le choix du terme « Chua » (Seigneur)
pour désigner Dieu a été une bonne trouvaille : non seulement il
correspond au mot latin « dominus », mais de plus, dans le Vietnam
du XVIIe siècle, doté d’un seul roi ( vua ) de la
dynastie Lê, sans pouvoir réel, ce terme désigne les deux seigneurs
(chua) rivaux (les Trinh au Nord et les Nguyên au Sud), qui
détenaient effectivement tous les pouvoirs
[24].
Revenons à l’exigence du
monothéisme. Le problème est que nous utilisons les mots :
« adorer », « culte » pour une multitude de choses ou personnes.
Déjà l’Eglise catholique distingue trois espèces de culte :
latria, dulia et hyperdulia. Pour expliquer le premier
commandement aux catéchumènes vietnamiens du XVIIe
siècle, le père Alexandre de Rhodes garde le mot intraduisible « latria »,
qui désigne le culte d’adoration réservé à Dieu seul, et l’appelle
« le culte de première catégorie » (phép thö nhit) ; quant au
culte des saints, « dulia », il l’appelle « le culte de catégorie
inférieure » (phép ha), et le culte de la Vierge Marie, « hyperdulia »,
« le culte supérieur à celui des saints » (phép thö tlên cac
thanh
[25]).
On le voit : la transcendance, qui implique intransigeance et
exclusivisme, se traduit ici dans le langage de l’immanence en
hiérarchie, impliquant la reconnaissance de la pluralité. On
comprend alors que, dans la hiérarchie des cultes, le culte de
première catégorie implique qu’on aime Dieu au-dessus de toute
autre chose (tlên hêt moi sü), l’exclusivité étant
remplacée par la primauté.
Dans leur langue, les Vietnamiens
ont l’habitude d’utiliser le mot « thö » (adorer, vénérer) pour
exprimer l’attitude qu’il faut avoir envers un nombre très
diversifié d’êtres : les innombrables divinités, esprits ou
bouddhas, le roi ou l’empereur, les grands serviteurs de l’Etat, le
père, la mère, le mari, le maître, etc. Mais alors, que faire pour
souligner la primauté du culte du Dieu Unique ? La solution qui
s’impose peu à peu chez les catholiques vietnamiens est de réserver
– sans parvenir tout à fait à l’exclusivité – certaines combinaisons
de mots pour désigner le culte latria, comme : thö phüöng,
thö lây (adorer), etc. et que l’on évite d’en utiliser
d’autres, habituellement employées dans les cultes non chrétiens,
comme : thö cung, cung té, cung düöng (faire des offrandes),
etc.
En ce qui concerne la pratique
sociale, nos attitudes sont multiples : vénérer, honorer, respecter,
admirer, aimer (amour, amitié), etc. Les gestes et rites
correspondants sont diversifiés selon les cultures et les époques.
On peut en citer quelques-unes : prosternation, génuflexion,
position à genoux, inclination de la tête, ou adoration au sens
étymologique de « ad os », c’est-à-dire baiser, etc. Ces rites
s’adressent non seulement aux personnes, mais encore à l’égard des
choses relatives à ces personnes
[26].
C’est à partir de là que nous formons des rites du culte latria
d’adoration. Par exemple, la prosternation que les puissants
imposent à leurs sujets
[27],
nous l’adoptons assez naturellement pour le culte du Dieu
tout-puissant. Cependant il y a des cas où dans la prière, les
chrétiens prennent, en tant qu’enfants et non esclaves de Dieu, la
position debout des hommes libres. Un geste peut donc exprimer
plusieurs attitudes et une attitude peut s’exprimer par plusieurs
gestes. Rien donc ne semble disposer un geste ou un rite à être le
signe exclusif du culte latria.
Il n’est donc pas facile de
distinguer les rites purement religieux, suspects d’être
superstitieux, des rites purement sociaux, civils, séculiers, et
donc censés neutres, comme le voulaient, théoriquement, les décrets
pontificaux au XVIIIe siècle. S’agit-il simplement d’une
question d’intention, ou de restriction mentale ? Ou d’une question
de convention ?
En contribution à la discussion
sur le dossier des rites ainsi rouvert, je proposerais quelques
considérations :
Tout d’abord, l’interdiction des
rites chinois datait de l’époque où le dialogue inter-religieux
était presque inconnu, et où seul existait dans la pratique de la
masse le syncrétisme hasardeux. Face à cela, l’exclusivisme révèle
la haute conscience de l’originalité du monothéisme face aux
croyances polythéistes. Devant les rites sociaux existants,
codifiés, ordonnés, dans ce monde de l’immanence, l’interdiction des
rites chinois provenait de cette volonté de réserver exclusivement
quelques-uns pour le culte d’adoration, latria, envers le
Dieu Unique et Transcendant : les utiliser pour quelqu’un d’autre
que Dieu, c’était de l’idolâtrie. Tout cela est juste théoriquement,
mais la pratique est plus ambiguë.
Ensuite, en autorisant le culte
des esprits bienfaisants, la Conférence Episcopale du Vietnam entend
vivre la foi chrétienne dans la culture nationale. Décision
méritoire et d’une importance capitale, mais qui entraîne une grande
responsabilité : celle d’examiner avec discernement les
destinataires du culte : d’une part, les innombrables esprits selon
la conception immanentiste de l’Asie Orientale et, d’autre part, le
Dieu Transcendant selon la conception biblique assimilée par la
culture occidentale. Autrement dit, dans ce pays où l’on ne connaît
pas la distinction entre le religieux et le politique, il y a le
risque de tout confondre, de tomber dans un « œcuménisme » facile,
si en plus l’on perd de vue la différence entre, d’une part, le Dieu
Transcendant incomparable et, d’autre part, les esprits assez
semblables à l’homme ou les idoles que l’homme crée à son image
selon ses besoins psychiques ou selon ses projets sociaux et
politiques.
On ne peut reprendre tels quels
dans le christianisme les rites élaborés dans un autre contexte
culturel, sans les convertir et sans leur donner un sens nouveau.
Mais même sous cette condition, le
risque de confusion est permanent. D’autant plus que de nos jours,
au Vietnam même, un nouveau culte, encouragé, semble-t-il, par le
Parti Communiste au pouvoir, le culte du Président Hô Chi Minh
(décédé en 1969), commence depuis peu à se développer, opérant en
cela un retour à une tradition populaire antérieure aussi bien à
l’arrivée du christianisme qu’à la critique marxiste de la religion
[28].
Ainsi nous apprenons par diverses publications très récentes que, en
plus du grand mausolée à Hà Nôi, déjà au moins 30 temples lui sont
dédiés, et que le plus grand, le Dai Nam Quôc Tü (Temple
National du Grand Pays du Sud) à Thû Dâu Môt (Province Binh Düöng)
[29],
abrite « trois statues géantes recouvertes d’or, celle de Bouddha,
du roi Hùng, l’ancêtre éponyme du Vietnam et de Hô Chi Minh
représenté assis sur un trône devant les deux autres [30]
». Retour du religieux, ou combinaison de projets non religieux ?
Toujours est-il qu’on assiste ici à une cohabitation inattendue
entre trois personnages : un fondateur historique de religion,
divinisé par la population, un ancêtre plus ou moins mythique de la
nation, et un grand homme d’Etat de fraîche date, et dont le
caractère bienfaisant est loin de faire l’unanimité. Il y a donc
dans un avenir prochain un grand travail de discernement à
entreprendre dans le domaine des rites, non seulement pour les
adeptes des religions, mais aussi pour les politiciens et les
historiens.
1. « Le dossier
des rites chinois doit-il être rouvert ? », dans :
Mission. Journal of Mission Studies (Ottawa), t. 8
(2001), p. 87-112 et 165-186 (édition remaniée d’un article
paru dans L’année canonique (Paris), t. 41 (1999), p.
363-400).
2. Cité d’après le texte pris à l’internet,
p. 8.
3. Jean
Charbonnier, Histoire des chrétiens de Chine, Coll.
Mémoire chrétienne, Paris Desclée, 1992, p. 179-180. Cf.
aussi : François Bontinck, La lutte autour de la liturgie
chinoise au XVIIe et XVIIIe siècles,
Publications de l’Université Lovanium de Léopoldville
(aujourd’hui Kinshasa, Congo), Ed. Nauwelaerts,
Louvain-Paris, 1962, 547 p.
4. Cf. J. Charbonnier, Op.
cit., p. 180-183.
5. « Praesens
juramentum circa Constitutionem Ex quo a R.D.(Paulo)
Trinh Tunkini praestitum excepi. Datum in (
…) Die 12 mensi septembris anni 1769, Bertrandus Eps
G(abalen.) v icarius
6. « Ego infra scriptus testor hoc
iuramentum R.D. Francisci Phan (Hâu) sacerdotis Tunkinensis
in manibus meis emissum continere verum sensum formulae in
Const(itutio)ne Appostoli(ca) Ex quo singulari
praescriptae. In cujus fidem (…)
Datum in pago Ke Vinh die 16 Augusti 1750. - + Ludovicus
Ep(iscop)us Ceomanen(sis) et Vic(ari)us Ap(ostoli)cus
Tunk(in)i Occid(enta)lis ».
7. Cf. par
exemple AMEP, Vol 690, f. 165, 457-782, 755-756, 847, 874,
878, 884-887 ; et à la fin du volume, des dessins de
quelques modèles de catafalques.
8. AMEP, Vol, 690,
f. 143, 150, année 1762.
9. AMEP, Vol. 690,
f. 755-156, année 1772.
10. Cf. un passage de la
lettre (vers 1784) du missionnaire J. F. Le Roy sur
l’anniversaire de la mort des parents au Tonkin Occidental
dans AMEP, Vol. 691, p. 191-192.
11. Cf. Léopold
Cadière, « Sur quelques faits religieux ou magiques observés
pendant une épidémie de choléra en Annam », dans :
Croyances et Pratiques religieuses des Annamites, t. I,
Hanoi, I.D.E.O., 1944, p. 215)
12. « Ne mettez
aucun zèle, n’avancez aucun argument pour convaincre ces
peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs
mœurs, à moins qu’elles ne soient évidemment contraire à la
religion et à la morale. Quoi de plus absurde que de
transporter chez les Chinois la France, l’Espagne, l’Italie
ou quelque autre pays d’Europe ? (…) Ne mettez donc jamais
en parallèle les usages de ces peuples avec ceux de
l’Europe ; bien au contraire, empressez-vous de vous y
habituer » (Instruction à l’usage des vicaires
apostoliques en partance pour les royaumes chinois de Tonkin
et de Cochinchine, dans : Le Siège apostolique et les
missions – Textes et documents pontificaux, Ed. Union
missionnaire du clergé, Paris-Lyon, fasc. 1, p. 16.
13.
L’acculturation se faisait aussi parallèlement dans le
domaine profane : les gens apprenaient à chanter des chants
français avec des paroles françaises ou vietnamiennes, comme
par exemple : J’ai deux amours, mon pays et Paris,
etc.
14. Avant 1965
nous n’avons pas vu d’autel des ancêtres dans les villages
catholiques du Nord-Vietnam : cette sorte d’autel comporte
des éléments considérés comme contraires à la foi, tels
l’âme de soie (Cf. la note 16) et les tablettes siège de
l’âme (Cf. la Note suivante). Le seul, laqué et doré et sans
les dits éléments, que nous avions vu chez des catholiques,
toujours avant 1965, se trouve à Hué, chez les descendants
de Paul Tông Viêt Büöng, sergent de la garde impériale
martyrisé le 23 octobre 1833, béatifié par Léon XIII le 27
mai 1900 et canonisé par Jean-Paul II le 22 juin 1988.
15. Selon la
coutume, on dépose sur le visage du mourant un tissu en
soie, qui recevra avec le dernier souffle son âme, laquelle
prend place ensuite dans une tablette en bois portant le nom
du défunt. Ainsi présent dans la tablette placée sur
l’autel, le défunt recevra le culte qui lui est dû.
16. Souvent on
les dispense de participer personnellement moyennant une
participation aux frais, mais celle-ci est considérée par
certains missionnaires comme une participation active.
17. La
traduction du tétragramme divin par un nom commun « theos »
ou « deus » comporte le risque de suggérer l’idée d’un dieu
parmi d’autres. Cf. Joseph Ratzinger – Benoît XVI, Jésus
de Nazareth, Paris, Flammarion, 2007, p. 166 : « Il
n’était donc pas juste que, dans les traductions récentes de
la Bible, on écrive comme n’importe quel autre nom ce nom
resté toujours mystérieux et imprononçable pour Israël,
réduisant ainsi le mystère de Dieu, dont il n’y a ni images,
ni noms prononçables, et le ramenant dans la banalité d’une
histoire générale des religions ».
18. Le mot « shén » (vietnamien :
« thàn », signifie « esprit » ou « divinité ».
19. Mt 4, 10 ; Cf.
Dt 6,13.
20. Dans le
bouddhisme populaire, Bouddha est vénéré comme la divinité
suprême.
21. « Sur
quelques faits religieux ou magiques observés pendant une
épidémie de choléra en Annam », dans : L. Cadière,
Croyances et Pratiques religieuses des Annamites, Hanoi,
I.D.E.O., t. I, 1944, p.196.
22. Cf. entre
autres, Croyances et Pratiques religieuses des Annamites,
t. I, Hanoi, I.D.E.O., 1944, 245 p. ; t. II, Saigon,
E.F.E.O., 1945, 343 p. ; t. III, Paris, 1947, 286 p.
23. Il s’agit
des expressions désignant des propriétés divines, comme
wu shi wu zhong = vô thûy vô chung (sans commencement
ni fin = éternel) , ou wu xing wu xiang = vô hinh vô
tüöng (sans forme ni image = immatériel, spirituel).
24. Cf. Léopold
Cadière, « Le Titre divin en annamite – Etude de
terminologie chrétienne », Revue d’histoire des missions
, Supplément au numéro de décembre 1931, 27 p.
25. Alexandre
de Rhodes, CATHECHISMUS pro ijs, qui volunt suscipere
BAPTISMUM IN Octo dies diuisus (catéchisme bilingue,
latin-vietnamien), Roma, 1651, p.284-285.
26. Par
exemple, on accueillait avec de l’encens et des
prosternations les décrets des rois ou empereurs, ainsi que
les brevets qu’ils décernaient aux esprits à vénérer dans
les temples.
27. Au XIXe
siècle les empereurs chinois ont voulu imposer aux
ambassadeurs étrangers le rite koù tou (frapper la
terre du front), en signe de soumission.
28. Cf. Claire
Chauvet, « Ho Chi Minh et le culte des Quatre Palais.
Contradiction ou continuité d’une relation au pouvoir ? »,
dans : Aséanie 17, Juin 2006, p. 95-111.
29. Selon Tran
Khai (article « Dung dên thö ông Hô » (Eriger des temples
pour Monsieur Hô), site : danchimviet.com, 23/05/2007), le
temple se trouve au centre d’une zone touristique « Dai Nam
thê giöi du lich » (Tourisme mondial au Grand Pays du Sud,
avec 5000 chambres) et occupe une surface de 5000 mètres
carrés. Outre le palais principal avec trois statues
géantes, on trouve un lieu de culte pour les 54 minorités
ethniques et pour 2000 familles des peuples du Vietnam,
ainsi que des représentations sculptées sur bois de
l’histoire du pays et des grandes personnalités historiques
et légendaires. Ce projet politico-religieux pourrait faire
penser à une sorte de Panthéon comme à Paris, ou de Walhalla
allemand (près de Ratisbonne), mais avec une différence :
ces deux monuments sont sobres et n’ont pas de prétention
religieuse.
30. Revue
Eglises d’Asie (MEP, Paris), n° 464, I Juin 2007, p. 21.
(Texte qui, reconnaît l’auteur, s’est très largement
inspiré de deux articles en vietnamien de Trân Khai, parus
sur le site « danchimviet » : « L’oncle Hô à l’égal de
Bouddha et de Dieu » du 22 mai 2007 et « Edifier des temples
pour l’oncle Hô » du 23 mai 2007 ) .
|
Không có nhận xét nào:
Đăng nhận xét